Par Seydou TOU, Directeur financier.
La saisine par la Fédération des Sociétés d’Assurances de Droit National Africaines (FANAF) du bureau des instances décisionnelles de la la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances (CIMA) a permis le report du délai de la phase de l’augmentation du capital social des compagnies d’assurances dommage (jusqu’au 31/12/2024) et une suspension de la mesure pour les compagnies d’assurances Vie.
Cela reste un grand acquis pour le bureau actuel de la FANAF au regard de l’impact de la crise sanitaire sur l’activité. Cette dernière phase de l’augmentation de capital devrait permettre soit l’arrivée de nouveaux acteurs ou le regroupement de sociétés.
Au cours de la première phase de l’augmentation, nous avons enregistré certains regroupements de société ayant permis de mettre en place des ensembles plus organisés et plus solides. Si l’impact de la pandémie COVID-19 nous éloigne de cette tendance, il faudra noter qu’à travers le monde la crise sanitaire a suscité un regain de regroupement de société. Ainsi, on enregistre, pour l’ensemble du marché mondial des assurances et de réassurances, plus de 640 opérations de fusions-acquisitions d’une valeur totale de 122,786 milliards USD pour les huit premiers mois de l’année 2021.
La réalisation de ces opérations nécessite l’évaluation des Actifs et Passifs de ces sociétés d’assurances par le choix d’une méthode d’évaluation qui doit tenir compte de la spécificité de leur activité. Le choix d’une méthode adaptée de valorisation évite certaines surprises post-fusion où le nouveau repreneur se rend compte du juste prix de la transaction. Dans la zone CIMA, au cours des trois derniers exercices, nous dénombrons au moins dix (10) restructurations de sociétés d’assurance ayant entrainé dans la plupart des cas des prises de contrôle et des fusions-absorptions. Nous avons noté également que la méthode de valorisation des actifs et des passifs, basée sur l’approche fondamentale, a été utilisées avec toutes les limites possibles au regard de certaines contingences.
Selon cette approche (Frankel et Froot 1990), le processus d’évaluation financière d’une entreprise se réduit au calcul de sa «valeur fondamental», ajustée en fonction des synergies positives ou négatives attendues de l’opération (prime de fusion, de scission…). La valeur fondamentale n’est rien d’autre que la valeur de marché pour les entités cotées et la valeur comptable pour les entités non cotées. Mais devons-nous ramener, selon ce principe, un exercice d’évaluation d’entreprise au stade réducteur du simple calcul mathématique d’une valeur ?
Les surprises post-restructuration trouvent leur origine dans le choix des méthodes et pratiques d’évaluation que nous trouvons souvent beaucoup plus simples à mettre en œuvre mais plus coûteuses après la signature des conventions d’acquisition.
La spécificité d’une société d’assurance, qui se traduit par l’inversion de son cycle d’exploitation, est déterminante dans le choix des méthodes de valorisation. Le secteur des assurances, au regard de cette spécificité, bénéficie par exemple d’un régime transitoire dans l’application des nouvelles normes comptables internationales du fait que l’IASB (normalisateur comptables) n’a pas encore trouvé une solution consensuelle et pertinente dans la valorisation du passif d’une compagnie d’assurance.
Selon un article publié par Philippe Trainar (2008) dans la revue Science de Gestion, les problèmes économiques de valorisation d’une compagnie d’assurance peuvent se trouver essentiellement à trois niveaux : le caractère virtuel de son passif, l’horizon de long terme des passifs d’assurance et les standarts comptables.
Selon l’auteur, les assureurs «ne doivent pas se laisser tromper par la valeur des actifs et passifs inscrite au bilan et doivent réfléchir à d’autres méthodes de valorisation prenant en compte la spécificité de leur activité ».
De plus en plus, hors de la zone CIMA, la méthode fondée sur l’approche fondamentale de valorisation des sociétés d’assurance n’est plus utilisée. Au Canada, sur neuf opérations de fusions (Etude de Tower Watson, 2015), cinq ont adopté la méthode de l’ajustement en fonction du bilan à la clôture (« closing balance sheet adjustment approach ») et deux ont adopté la méthode du « coffret verrouillé » (« locked box approach »).
Ce choix de méthode utilisées est privilégié de plus en plus en Europe. Cette tendance confirme la spécificité du secteur et rend problématique le choix des méthodes et pratique de valorisation des actifs et passifs lors des opérations de fusion acquisition dans la zone CIMA.
La valorisation d’une société est un processus d’interaction et une valeur ne doit pas être une grandeur définie à l’amont du processus (Orléan, 2011). La valeur doit être une création prenant en compte l’interaction des acteurs se trouvant dans le processus d’évaluation (investisseur, contrôleur, évaluateur indépendant, avocat d’affaires).
Les acteurs externes tels que les cabinets spécialisés en évaluation doivent être associés à l’évaluation des sociétés d’assurances dans une périodicité annuelle au-delà des missions d’audit légal et des travaux d’audit interne.
En effet, la comptabilité est le langage fondamentale de la communication financière et l’audit est l’instrument qui assure à la comptabilité la fiabilité nécessaire. Les certifications des comptes ou les due diligences à la veille des opérations de fusion ne doivent pas être les seules bases souvent uniques d’assurance ou de calcul des prix de transaction lors des restructurations de société. L’analyse croisée des résultats périodique des travaux d’acteurs internes et externes (auditeurs, évaluateur indépendant) doit générer une nouvelle base, un processus d’évaluation et de création d’une valeur qui serait totalement différentes des données auditées étant donné que les acteurs (internes et externes) n’ont pas les mêmes instruments et démarches méthodologiques.
Ce processus interactionniste pourrait faciliter la construction de valeur qui prendra en compte la spécificité de l’activité mais aussi être une assurance pour les investisseurs dans les opérations de restructuration. De tels processus doivent amener les sociétés d’assurance à consolider leur dispositif organisationnel par l’émergence des services d’audit interne suffisamment outillés et autonomes. Ce dispositif organisationnel doit être ouvert aux acteurs externes tels que les cabinets de notations agréés.
La deuxième phase d’augmentation du capital social des sociétés d’assurance dommage à 5 milliards de FCFA entrainera des restructurations dans le secteur pour donner naissance à des ensembles organisés. Le report du délai ne doit pas être un sursis ou le temps nécessaire pour chercher de nouveaux investisseurs mais celui de changer l’approche afin de séduire ces investisseurs. Cette approche doit permettre à nos organisations d’être ouvertes et de s’inscrire dans de processus d’évaluation financière avec les acteurs internes et externes. La problématique de solvabilité des compagnies trouve également solution dans les travaux de réflexions orientées vers la mise en place de méthode de valorisation adaptée.